DES LARMES COMME DES BANANES

Où acheter le livre ?

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ENTRETIENS


sergeDEFT nous reçoit

Ask me a question and I'll tell you a lie
Nick Knox (batteur des Cramps de 1977 à 1991)

POSEZ-MOI UNE QUESTION ET JE VOUS REPONDRAI PAR UN MENSONGE

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Article de Melle Ko :


On m'a prêté au dernier moment une voiture pour y aller. Une caisse sans âge qui, dès le premier coup d'œil sur le parking, m'a fait subodorer les ennuis mécaniques, les voyants rouges s'allumant sur le tableau de bord et de la fumée blanche refoulée par la calandre filant sur le capot. Le vieux moteur a tenu, mais le GPS est tombé en rade dès la sortie de Paris et il n'y avait pas de cartes routières dans la boîte à gants. J'ai roulé, roulé encore - et j'ai fini par trouver l'endroit après plus d'une heure à brûler de l'essence sur des routes boueuses et rectilignes, traversant à n'en plus finir un paysage plat et monotone coiffé d'un ciel triste ; C'était une longère en pierres entourée de hauts murs, dans un petit village au beau milieu de cette région consacrée à la grande culture.

Le portail était grand ouvert.

Je découvre un foutoir indescriptible dans la cour pavée. Il y a un vieux buffet avec les portes déglinguées et un pied cassé, deux tables de toilette dont le placage rebique, un salon de jardin ancien en métal avec la peinture écaillée, des objets rouillés éparpillés un peu partout et une demi-douzaine de bassines en émail. Une arrière-cour de brocanteur en quelque sorte.

Du pain écrasé aussi, pour les oiseaux, et un petit tas de noix aux coques brisées (j'apprendrai un peu plus tard que c'est pour nourrir les écureuils).

sergeDEFT a accepté de recevoir quelqu'un et de répondre à quelques questions. Et c'est moi qu'on a envoyé.

L'homme m'attend sur le pas de la porte (dans ce genre d'habitation ancienne, on rentre par la cuisine).

Musique à fond - très à fond - derrière lui.

Long peignoir en éponge mélangeant des couleurs arrogantes - rouge vraiment vif, vert vraiment acide, turquoise et bleu nuit bordé de crème - ouvert sur un tee-shirt noir avec une inscription en lettres blanches de très grande taille


LE RAP
C'ETAIT
MIEUX
AVANT


et pantalon de jogging mauve !

Les pieds nus dans des sandales.

Il tient à la main un mug avec l'inscription NEW YORK CITY. Un bandana maintient ses cheveux longs pas peignés. Des lunettes à fines montures, des montures économiques, pendent sur sa poitrine au bout d'un cordon.

Je viens de faire du café, dit-il en guise de bonjour, et ajoute : il y a de la bière dans le frigo si vous préférez. Je peux vous faire du thé aussi.

- Je lui dis qu'un café c'est parfait.

Il cherche dans l'amoncellement de vaisselle sale empilée sur la paillasse de l'évier et en extirpe une grande tasse qu'il nettoie soigneusement sous le robinet. Il attrape le broc en verre, coule le café trop vite et il y en a plein qui dégouline sur le carrelage en vieilles tommettes. Il prend soin d'essuyer le cul de la tasse avant de me la tendre et on passe à côté, au moment précis où explose Kick Out The Jams du MC5 dans les enceintes.

Bas de plafond, poutres foncées - et dehors ciel toujours aussi triste - la pièce est sombre malgré une large baie vitrée. Des lampes ont été posées un peu partout sur les meubles pour tenter d'égayer.

Le ménage ne semble pas avoir été fait depuis des mois. On peut sentir la poussière.

sergeDEFT va baisser le son mais attend devant l'ampli, ne pouvant se résigner à réduire le volume, puis préfère couper totalement la musique.

- Ca ne peut pas s'écouter doucement.

Il vient s'asseoir dans un canapé et je trouve une place dans un autre canapé qui fait face au sien en repoussant du linge propre en tas qui ne verra certainement jamais la semelle d'un fer à repasser.

Le café est très fort. Dosé approximativement d'une main un peu lourde.

- Merci de me recevoir...

Tout de suite je m'aperçois que ces banalités de politesse l'agacent, alors je n'insiste pas et je lui pose la première question :

- Où sommes-nous ?

- Chez une amie, au milieu de nulle part, comme vous avez pu vous en rendre compte en venant ici.

- Ce n'est pas chez vous ?

La question le fait sourire.

- Il faut que vous sachiez que je n'ai pas de chez-moi. Que je n'ai plus de chez-moi. Nous sommes chez la personne qui m'héberge depuis... (il réfléchit) ...longtemps. Je ne comprends pas qu'elle ne m'ait pas déjà viré, viré définitivement. Parfois ça pète. Souvent. Quand je sens que la tension monte vraiment très fort, je reprends mes cliques et mes claques et je vais voir ailleurs. Je vis un peu à droite à gauche depuis quelques années maintenant.

- Cette situation particulière doit avoir des répercussions sur votre travail d'écriture ?

- Bien sûr. Le fait d'être comme je vous le disais un peu à droite à gauche ne facilite pas la rigueur à laquelle il faut se tenir si l'on veut "avancer". D'autant plus que je manque de rigueur au départ, alors évidemment ça n'arrange rien. Je dois composer avec les personnes qui on la gentillesse de m'offrir un toit. Vous devez respecter leurs habitudes, un minimum, vous intégrer dans leur façon de vivre, même ci celle-ci ne correspond pas à la vôtre. Cela oblige à se mettre au travail dans des conditions particulières. Cela m'a appris, par obligation, à être plus efficace pendant les moments que je consacre à l'écriture. Mais je ne vais pas me plaindre, d'abord parce que cela serait insultant pour les gens qui m'aident... croient en moi. Et puis je ne me souviens pas d'un seul soir où je me suis endormi avec la faim au ventre. Alors !

Un teckel à poils durs avec lequel sergeDEFT semble entretenir une grande complicité monte le rejoindre sur le canapé.

Je décide alors d'en profiter pour faire quelques photos et miraculeusement un rayon de soleil perce pendant quelques courtes minutes la couverture nuageuse tandis que sergeDEFT chahute avec le chien.

Ce qu'on m'avait annoncé comme un sale boulot se transforme en trois heures de discussion agréable teintée même parfois de mots charmeurs.

Un peu plus tard, sergeDEFT ne pourra pas s'empêcher de remettre le MC5. Quand la musique explose, on le sent immédiatement transporté et - comme il ne s'en n'est jamais caché - on comprend où il puise l'énergie qu'il retranscrit dans ces écrits. Lire ROCK'N'ROLL !

Lorsqu'à la fin il me raccompagne à ma voiture, il me glisse, comme s'il lui était impossible de me laisser partir sans un dernier compliment, qu'il a apprécié cet entretien et s'assure que j'ai bien son numéro de portable.

Et me baise la main.

© Ko - 2012.


Il est PEUT-ETRE un peu plus de minuit...

Ko : DES LARMES COMME DES BANANES commence par ces mots : "Il est PEUT-ETRE un peu plus de minuit", puis en quelques lignes vous informez le lecteur que rien ne peut permettre de situer l'heure de l'action. Pourquoi cette volonté d'intemporalité ?

sergeDEFT : Ce PEUT-ETRE est d'abord pour moi une manière technique de déstabiliser le lecteur. Je précise que l'histoire se situe vers minuit et c'est suffisamment évocateur pour installer l'imaginaire dans une ambiance nocturne. Cette intemporalité, comme vous l'appelez, est une façon d'indiquer que les évènements qui vont être rapportés sont plus importants que le moment exact où ils vont se dérouler. Mais cela reste avant tout une manière, que j'espère originale, de débuter un récit. Cela n'a pas un grand intérêt... (il cherche le mot)... littéraire (le mot le fait sourire), mais cela m'a amusé de le faire.


Un luxe inouï

Ko : L'action se situe bien évidemment dans La Grande Cité, où il n'a pas plu depuis plusieurs années...

sergeDEFT : Oui, c'est un élément là aussi de déstabilisation, un fait exceptionnel, voire impossible dans la vie réelle. C'est le privilège de l'écriture : ne pas tenir compte éventuellement des exigences de la logique.

Ko : C'est ce même luxe qui vous permet de faire circuler les deux policiers dans une voiture ancienne dans une ville moderne ?

sergeDEFT : - Oui, cela permet de créer des images fortes qui ne pourraient pas exister sans ce genre de "petit écart". Cela ne gêne pas la narration, je pense, bien au contraire. Il ne faut pas en abuser, c'est tout. Mais quelle liberté ! Un luxe inouï dont il serait stupide de ne pas profiter. Et quelle victoire sur la plate réalité quotidienne !


L'imprévu et le malentendu

Ko : Jo est le "héros" de cette histoire ? (J'insiste sur les guillemets)

sergeDEFT : Jo est le personnage central. Il deviendra (en quelque sorte) un héros véritable malgré lui, suite à un quiproquo.

Ko : On retrouve à travers le personnage de Jo, deux thèmes qui vous sont chers, celui de l'imprévu et celui du malentendu ?

sergeDEFT : Tous les personnages de mes histoires, je crois, se retrouvent dans des situations "extra-ordinaires" dictées par le destin, le hasard le plus total. Ils ne sont jamais les instigateurs de leur avenir, tout du moins au départ. Ici, Jo et Max, bien que voulant "se payer" un désaxé, passent "au bon moment" à l'endroit "où il se passe quelque chose" et sont sollicités par des tiers pour intervenir. Ils n'ont rien fait pour réaliser leur désir. Ils sont juste là, par hasard, comme je le disais : "au bon moment et au bon endroit". C'est ainsi que les policiers "tombent" sur un maniaque, ce qu'ils prennent pour un maniaque suite à un concours de circonstances. Non seulement ils ne sont pas les décideurs de leur action mais l'action, elle-même qui leur est imposée n'existe qu'en raison d'un malentendu.

Ko : A la fin, leur acte "héroïque" est effacé par un événement exceptionnel qui survient et bouscule La Grande Cité.

sergeDEFT : Oui, c'est un nouveau coup du hasard. Cela confirme les imprévus de la vie. On n'est jamais sûr de rien et cela peut prendre l'aspect d'un destin "à tiroirs" ou si vous préférez, du principe des poupées russes et cela à l'infini, comme dans un jeu de miroirs.

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Sur le nihilisme punk

L'entretien qui suit est extrait d'un article publié pour la première fois en France dans la revue Un Coup Dans Le Zig (épuisée) à partir de la traduction d'un fanzine mexicain.


P : Tu t'inscris dans la mouvance du nihilisme punk ?

sergeDEFT : Non, le nihilisme c'est : DE TOUT, J'EN AI RIEN A BATTRE. C'est ça la définition... et puis le punk c'est déjà tout un "truc", avec ses repères, ses codes. Cela a été une époque vraiment incroyable, tout semblait voler en éclats et ça faisait vraiment peur aux gens, mais le mouvement a été éphémère, très vite canalisé pour faire du pognon, mais ça m'a marqué fortement. Tu sais, j'avais vingt et un ans en 77, alors...

P : (Je m'apprête à continuer, il me coupe la parole)

sergeDEFT : J'ai toujours le bouquin de Patrick Eudeline*, L'Aventure Punk aux éditions du Sagittaire que j'avais acheté à l'époque... J'aurais dû vous dire volé, pour étayer "sérieusement" mon profil... (Sourire amusé.) Ce ne serait pas honnête de dire que toute cette attitude ne m'a pas influencé. C'est d'ailleurs à peu près en même temps qu'est sorti en France Mémoires d'un vieux dégueulasse de Bukowski, dans sa première traduction par Philippe Garnier pour la collection Speed 17. Un choc immense.

 

*Chanteur du groupe français Asphalt Jungle, Patrick Eudeline est un "survivant" des années punk dont il fut l'une des figures emblématiques. Il est devenu au cours des décennies suivantes, un rock-critic incontournable, pour ne pas dire culte. Il a publié également plusieurs romans.


P : Je reformule ma question. Tes récits transportent un pessimisme appuyé, tu ne peux pas le nier ?

sergeDEFT : C'est plus proche de ça. J'avoue ne pas y avoir pensé... (Silence le temps de la réflexion.) Je crois, comme nous sommes dans les ismes, que c'est du fatalisme. Oui, c'est ça, je suis tout simplement fataliste. CE QUI DOIT ARRIVER ARRIVE. ON N'Y PEUT VRAIMENT RIEN. C'est comme avancer dans un brouillard épais, tu peux arriver au bout sans rien heurter, mais tu peux aussi t'écraser sur un obstacle.




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Eddy Gusty

Des influences aux emprunts

Sur le mur, à ma droite, étaient épinglées toutes sortes de notes : une longue liste de mots, des mots qui m'ensorcelaient et que j'avais l'intention de traîner par les cheveux si cela était nécessaire ; (…) ; des titres de livres auxquels je comptais subtiliser habilement quelques passages (…)

Henry Miller - Nexus - 1960.


Il en est de l'écriture comme de la musique ou de la mode : rien ne se perd, rien ne se crée non plus ou si peu, faut pas rêver ; il ne faut PLUS rêver. Tout ça, c'est du réchauffé. On arrange la présentation dans l'assiette mais malgré tout on ressert toujours la même tambouille. Il serait stupide, prétentieux surtout, de prétendre être le précurseur de quoi que ce soit. C'est devenu tout simplement un éternel recommencement auquel on ajoute sa touche, quelques nuances par-ci par-là, une forme de relookage, en quelque sorte.

Certains parleront de pillage… Non, nous sommes rentrés depuis longtemps dans l'ère du recyclage. 99 % des romans populaires ne sont que redites de thèmes déjà largement ressassés. Les ressemblances sont donc inévitables. Quoi que l'on fasse, nous sommes coincés. Aujourd'hui, on est dans l'obligation de travailler en "empruntant" aux prédécesseurs. Lire LES CLICHES

Attention, je ne parle pas de chapardage éhonté, de plagiat mot à mot. Il ne faut pas faire un amalgame et donc bien distinguer le "copier-coller" des sources d'inspiration de toutes sortes résultant d'une vie culturelle "normale".

Il est admis qu'on se nourrisse de tout, de ce que l'on voit et de ce que l'on écoute. Les films et la musique que nous avons aimés ont participé à la construction de l'univers de chacun. Mes "petites histoires sans importance" doivent beaucoup à un certain cinéma et aux Cramps. Russ Meyer et Tex Avery, autant que le psychobilly le plus déjanté ou les groupes punk de la scène new-yorkaise ou japonaise ont ainsi orienté ma façon d'aborder le récit et de rédiger. C'est indéniable. Cela ne choque personne. Pourquoi ne pas accepter alors que tout ce qu'on a lu se retrouve régurgité de la même manière dans ce que l'on écrit ?


BONUS : LAVER TOUTE LA CRASSE

Presque toutes les œuvres sont faites avec des éclairs d'imitation, avec des frissons appris et des extases pillées.

Cioran - Syllogismes de l'amertume - 1952.


Voici une anecdote où sergeDEFT nous confie un "emprunt" et nous explique de quelle manière, au hasard d'une lecture, il a découvert comment une "idée" peut voyager parfois :

Patrick Eudeline, dans ROCK & FOLK (n° 441 - mai 2004 - Mes Disques à Moi), évoque The Ink Spots - groupe vocal, précurseur du style Doo-wop, variante du Rhythm and Blues - et "avoue" avoir pompé (selon ses termes) les paroles de Into Each Life Some Rain Must Fall, pour l'une de ses chansons : Dans chaque vie m'a-t-on dit un peu de pluie doit tomber et dans la mienne c'est tous les jours. Il précise ensuite dans l'interview qu'il rapproche ces mots d'une phrase d'un roman de Mickey Spillane, où le célèbre auteur de polar dit qu'il n'y aura jamais assez de pluie pour laver la ville.

J'avais lu à sa sortie, en 1977, le premier livre de Patrick Eudeline (L'AVENTURE PUNK - Le Sagittaire. Réédition Éditions Grasset - 2004), qui était déjà "sous influence" de l'écrivain américain, puisqu'on trouve cette phrase pour la première fois à plusieurs reprises dans le texte, comme un refrain :

Et aujourd'hui je serre les pans de mon trench et il n'y aura jamais assez de pluie aujourd'hui pour laver toute la crasse de cette foutue ville.

A mon tour, désireux de glisser un hommage discret à ce bouquin incroyable qui m'a marqué profondément, j'ai perpétué involontairement "l'emprunt" déjà fait par Eudeline à l'ouvre de Spillane, en écrivant ces lignes dans les premières pages de DES LARMES COMME DES BANANES :

ICI, il n'a pas plu depuis six ou sept ans et il faudrait maintenant plusieurs décennies d'une pluie diluvienne pour nettoyer les façades poisseuses de cette interminable succession d'immeubles vétustes en briques sombres des Quartiers Nord, laver toute la crasse de cette partie de La Grande Cité.

Cette phrase était présente (sous une forme plus succincte) dans le premier jet de DES LARMES COMME DES BANANES que je peux dater approximativement à 1984/85. Aussi, ma surprise fut grande de lire en 2004 dans un article du magazine ROCK & FOLK, les explications de Patrick Eudeline, parce que je me souvenais très bien d'avoir "utilisé" moi aussi cette idée comme une "dédicace" fondue dans mon texte, un clin d'œil à ce manifeste punk, ignorant qu'elle provenait à l'évidence d'un bouquin de Mickey Spillane. Comme quoi !


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